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Immigration et charité chrétienne
par Jacques Bichot - Professeur à l’Université Jean Moulin (Lyon 3)
mercredi 8 février 2006
Faut-il que la France accueille les prochaines années autant, voire davantage, d’immigrés qu’elle ne le fait actuellement ? Le Père Christian Mellon, dans la Croix du 6 février, a soutenu ce point de vue, au nom de la doctrine de l’Eglise et de la défense de la dignité humaine. Il est possible de partager ses motivations et de souhaiter, pour des raisons pratiques, que l’on mène en faveur de nos frères du Tiers Monde une politique non moins active mais différente.
Que se passe-t-il en effet, actuellement, pour les étrangers qui viennent s’installer en France ? Ceux qui proviennent d’autres pays développés, et ceux qui, originaires du Tiers Monde, ont un bagage intellectuel et professionnel suffisant, trouvent sans trop de difficultés leur place dans la société et l’économie françaises. En revanche, les plus pauvres, comme ceux qui essayaient de franchir les clôtures de Ceuta et Melilla, s’adaptent difficilement. Pour qu’ils soient nos prochains, au sens de l’Evangile, il ne suffit pas que nos gouvernements autorisent leur entrée en grand nombre sur le territoire national : il faut mettre en œuvre des moyens considérables au service de leur intégration. Deux questions se posent : en sommes-nous capables ? Et est-ce la meilleure façon de mettre nos moyens, qui ne sont pas illimités, au service de nos frères économiquement moins avancés ?
La première question, sommes nous capables d’accueillir convenablement des flux d’immigrés du « sud » égaux ou supérieurs à ceux qui entrent actuellement en France, appelle malheureusement une réponse négative. De fait, nous n’avons pas été capables de faire ce qu’il aurait fallu : ces populations connaissent des taux de chômage trois fois supérieurs à la moyenne nationale, et des taux de délinquance à l’avenant, ce qui signifie un manque certain d’acculturation. De fait, nos préfectures ne parviennent pas à traiter les dossiers des demandeurs d’asile dans des délais décents. De fait, les services sociaux sont débordés. Alors, dans ces conditions, faut-il ouvrir encore plus grand les robinets d’entrée, ou faut-il commencer par améliorer nos dispositifs d’accueil, et faire les efforts requis pour l’intégration de ceux qui sont en déshérence sur notre territoire ? Gérard Lafay a estimé à 12 milliards d’euros les dépenses annuelles publiques supplémentaires qui seraient nécessaires pour s’occuper convenablement des immigrés et enfants d’immigrés [Communication au colloque « Immigration et intégration » organisé par l’Institut de géopolitique des populations, Paris le 17 novembre 2005.] et, à supposer que l’on puisse trouver cet argent, le problème ne serait pas résolu pour autant : il faudrait encore trouver, et probablement former, les personnes compétentes. Cela prendra du temps. L’entrée immédiate de nombreux immigrés du Tiers Monde se fera donc inévitablement dans de mauvaises conditions, et il n’est pas certain que les laisser venir plutôt que de s’occuper d’eux dans leur propre pays soit leur rendre service.
La deuxième question est celle du meilleur usage possible de nos moyens limités. Accueillir un immigrant en provenance du « sud », selon une estimation à laquelle je me suis livré, coûte actuellement en moyenne environ 7 000 euros par an aux finances publiques, et ce pendant des années, voire des décennies [Communication au m^me colloque ; ces textes seront publiés dans la revue de l’IGP.]. Pour ce prix, à combien de personnes pourrait-on mettre le pied à l’étrier dans leur propre pays ? Economiquement, on a le choix entre accueillir un africain de plus dans une « cité » ou doter un micro-projet de 7 000 euros par an pendant plus de dix ans : qu’est-ce qui sortira de la misère le plus grand nombre de personnes ? Comment un humaniste, et a fortiori un chrétien, pourrait-il se dispenser de réfléchir à cela ?
Deux à trois milliards d’hommes, de par le monde, sont très pauvres. Quelques dizaines de millions ont émigré en Occident, avec des résultats mitigés. Quelques dizaines de millions supplémentaires pourraient le faire, sans garantie que les résultats soient meilleurs. Et les autres ? Certes, l’Occident manque de spécialistes du développement ; certes, la corruption et le manque de compétence d’une partie des dirigeants du Tiers Monde ne facilitent pas les choses. Mais c’est bien sur place, chez eux, que se joue le sort de la majorité des pauvres, et c’est bien là que doit porter prioritairement notre effort.
Au lieu de protester contre les mesures qui pourraient être prises en vue de limiter l’immigration de personnes sans qualifications utiles en France, pourquoi ne pas proposer d’affecter au développement du Tiers Monde les sommes qui seront économisées si d’aventure ces mesures atteignent leur but ?
Voir aussi le site du service national de la pastorale des migrants
SNPM
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