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L’EGLISE ET LA GLOBALISATION

by Joseph Joblin, SJ - Université Grégorienne Roman

mercredi 7 décembre 2005

Une telle formulation du sujet appelle deux observations préalables : elle demande de préciser ce qu’on entend par mondialisation et d’expliquer ensuite sous quel angle sera examinée la réponse de l’Eglise. Il s’agit d’ouvrir un débat pour nous familiariser avec la réalité de la mondialisation comme avec ses incidences humaines et sociales et pour examiner comment l’Eglise et les chrétiens ont réagi à ce phénomène nouveau.

L’EGLISE ET LA GLOBALISATION

by Joseph Joblin, SJ - Université Grégorienne Roman

I . LA MONDIALISATION

La mondialisation est à l’opposé de l’état d’équilibre auquel songe spontanément l’esprit humain. Elle est l’état provisoire d’un mouvement qui conduit à une intégration toujours plus poussée des forces économiques et financières (d’où le nom de globalisation qui lui est aussi donné). Cette définition provisoire permet de voir les deux aspects sous lesquels peut être saisi le phénomène de la mondialisation : l’un statique, en ce sens qu’il entraîne des transformations permanentes dans les relations économiques internationales ; l’autre dynamique, car ce mouvement se produit sous l’influence d’une logique toujours plus englobante (d’où le nom de globalisation qui lui est également donné). Ce mouvement échappe largement au contrôle des forces politiques ; s’il présente des avantages certains, il entraîne néanmoins des conséquences néfastes pour l’humanité, notamment du fait de la marginalisation des groupes ou individus qui n’entrent pas dans ce mouvement et des dommages qu’une concurrence acharnée cause à l’environnement.

Le phénomène qui vient d’être décrit est un fait avec lequel les générations actuelles et à venir devront vivre ; il est durable, porteur qu’il est d’un bien-être auquel les populations ne voudront jamais renoncer ; même celles qui sont présentement tenues en-dehors de ses bénéfices portent en elles l’obscur désir d’y participer un jour. De même qu’il faut vivre avec l’énergie atomique, de même les relations économiques et financières seront désormais marquées par la mondialisation.

La mondialisation n’a pas fait irruption sans préparation ; elle se situe au terme d’un processus d’intégration des forces économiques, économiques, financières, sociales et culturelles dont nous saisissons aujourd’hui la dynamique ; l’on est passé du rayon local de l’industrialisation à son internationalisation puis, aujourd’hui, à la mondialisation et à la globalisation du phénomène. Celui-ci a été accompagné par une interdépendance croissante des structures politiques et une compénétration des cultures. C’est seulement après avoir précisé ces termes qu’il sera possible d’examiner si et comment l’enseignement social de l’Eglise a réagi à ce mouvement.

* L’industrialisation de l’Europe et des Etats-Unis a commencé localement dès la fin du XVIIIème siècle ; elle s’est poursuivie durant le siècle suivant. La philosophie dominante était alors celle du libéralisme qui prônait la non-intervention de l’Etat en économie et la liberté d’entreprendre pour les individus. Les circonstances les y invitaient d’ailleurs car les inventions industrielles en matière d’énergie (houille, découverte de la machine à vapeur), de mécanisation de la production (création du métier à tisser...), de communications et de transports (télégraphe, téléphone, chemins de fer) semblaient ouvrir des possibilités indéfinies de gain grâce à l’élargissement des marchés dû au rétrécissement des espaces et des distances. Le besoin d’ententes, au niveau national puis international, se fit alors sentir car elles permettaient d’intensifier les investissements, la production et les échanges.

* L’internationalisation de la vie économique a engagé l’industrialisation qu’avait connue l’Europe avant la première guerre mondiale sur une voie qui devait conduire à sa mondialisation et à sa globalisation. L’effort industriel qu’avait exigé la guerre de 1914 avait montré les avantages et la possibilité d’une production de masse. La taille des entreprises devint nationale, mais la concurrence devint plus âpre et plus générale. On tendit alors à penser qu’il serait remédié à cette situation génératrice d’injustice si chaque peuple conformait ses institutions aux exigences du bien commun universel grâce à la création d’un nouvel ordre économique et social international. La fondation de l’Organisation de l’Organisation internationale du Travail répondit à bcette préoccupation ; mais les Etats ne purent s’entendre pour exercer un contrôle efficace sur l’économie et les forces qui poussient à sa mondialisation sauvage dominèrent la scène à l’issue de la deuxième guerre mondiale. Le rêve d’Albert Thomas de voir le social vaincre l’économie n’avait pas pu encore être pleinement réalisé à ce stade.

* La mondialisation. La généralisation des échanges entre firmes situées dans différents Etats a conduit à un nouvel état des relations économiques internationales, entre autres, du fait de la taille mondiale que prirent certaines d’entre elles. Les entreprises décident de la localkisation de leur production soit à la suite d’ententes passées directement entre certaines d’entre elles soit du fait de choix effectués par la direction d’une firme-mère à l’avantage de telle ou telle filiale. Cette décision est prise en fonction de la comparaison des coûts de production (salaires, législation sociale plus ou moins contraignante, avantages fiscaux...).. L’on est ici en présence de la mondialisation et lorsque cet état se généralise et impose sa dynamique à toute la vie économique, l’on est parvenu au stade de la globalisation . Cette situation est celle qui a prévalu dans les années 60 quand est apparue la généralisation des firmes transnationales ou multinationales.

Les Etats conservent un contrôle plus ou moins étendu sur les activités économiques et financières internationales aux stades de l’industrialisation et de la mondialisation ; les entreprises s’y prètent elles-mêmes et l’on voit apparaître les Codes de bonne conduite. Il n’en va plus de même avec la globalisation dont l’une des caractéristiques est la tendance à soustraire aux gouvernements la capacité de contrôler les activités des firmes internationales. Un encadrerment que leurs dirigeants juge trop strict de leurs activités par des règlements ou des mesures fiscales les conduit en effet à établir leur siège social ou leur production dans des pays aux législations plus souples. L’aisance relative avec laquelle ces localisations de convenance peuvent être changées renforce l’indépendance des firmes face aux pouvoirs nationaux et donc leur possibilité d’échapper à leur contrôle.

Le processus de globalisation est achevée quand la mondialisation de la vie économique devient telle qu’elle impose aux Etats d’en épouser le dynamisme. Elle peut être définie comme un réseau de relations économiques et financières qui inscrit dans la réalité une logique de croissance s’imposant à tous ceux qui veulent en bénéficier ; c’est à dire que les Etats et les opérateurs privés sont obligés de penser dans la logique du système sous peine de disparaître ; ils sont en effet soumis de facto à un pouvoir de contrainte qui érode la capacité de contrôle des gouvernements ; leurs décisions dans les domaines de la fiscalité, des avantages sociaux, des investissements... sont jugées et sanctionnées par les entreprises mondiales du point de vue de leurs intérêts immédiats. Les relations entre firmes, les décisions des opérateurs sur le marche financier constituent des entités propres qui gèrent l’économie en calculant à chaque instant comment maximiser les avantages qu’ils entrevoient pour eux.

En résumé, la globalisation doit être vue comme un processus permanent et dynamique qui :

* impose une vision de l’ordre international idéal comme norme de comportement des particuliers ;

* resserre les liens d’interdépendance entre peuples et nations grâce au consensus qu’elle favorise sur les orientations de l’économie et de la vie sociale ;

* tend donc à uniformiser les cultures et les valeurs sur lesquelles elles reposent là où régnait leur diversité ;

* se substitue aux instances individuelles ou nationales pour déterminer les orientations générales de leur politique qui s’impose ensuite comme normative des jugements ;

* elle tend donc à universaliser les cultures en les uniformisant.

Tout ce processus se déroule dans un certain anonymat. Il n’y a pas d’autorité responsable pour diriger le système qui s’est mis en place parallèlement à celui des Etats ; il est en effet régi par la somme des décisions particulières de ceux qui y interviennent. C’est parce que les opérateurs individuels vendent ou achètent sur le marché financier qu’une onde de choc se produit à la baisse ou à la hausse ; mais personne ne l’a décidée et personne ne la maîtrise.

Tels sont les "faits" qui "touchent directement la conscience" et appellent ceux qui en ont connaissance à un jugement moral et à une action appropriée.

Reprenons les termes clés de cette définition :

* processus, la globalisation se présente au terme d’un processus historique qui a été de l’industrialisation, à l’internationalisation et à la mondialisation. A chacune de ces étapes, un ensemble de forces s’est affronté pour donner corps à l’économie et a inscrit certaines valeurs dans la réalité.

* permanent, les forces qui ont conduit à la mondialisation puis à la globalisation sont toujours à l’oeuvre ; le changement dans les relations internationales est donc continu ; il se prolonge sous nos yeux. Chacun est lui-même une "unité active" (Perroux) dans ce processus.

* dynamique, le rapport des forces à l’oeuvre dans l’économie n’est pas stable ; s’il existe des forces rendant les forts toujours plus puissants et les pauvres toujours plus proches de la misère, il en est d’autres qui interviennent et tendent à compenser ce déterminisme économique. Si le réseau des forces économiques impose une logique de croissance inégale aux populations, il peut être contré par d’autres réseaux qui modèrent son action ou lui immposent une autre orientation.

* global alors que l’internationalisation et la mondialisation concernaient une extension des relations économiques à l’échelle du monde, l’on entend ici par global le fait que le processus a des effets importants et dominants dans de nombreux domaines : celui des valeurs, celui de la pauvreté en ne permettant pas de trouver des moyens de vivre suffisants à ceux qui ne sont pas partie au système, celui de la condition humaine en abolissant les frontières que ce soit celles de la communication ou des migrations...

* s’auto-alimentant, l’état actuel de la globalisation est le résultat de deux siècles d’histoire durant lesquels chaque étape est sortie comme naturellement de la précedente ; mais la dernière mutation intervenue apporte une nouveauté, à savoir l’entrée en jeu d’un mécanisme régulateur des relations internationales économiques, financières, politiques, sociales et culturelles qui semble échapper à toute possibilité d’un contrôle démocratique et ont des effets souvent particulièrement inhumains ; tel ou tel agent économioque ou politique peut avoir une influence en intervenant dans telle ou telle circonstance particulière mais personne n’a emprise sur le système qui s’autodéveloppe soumis qu’il est à la force logique qui entraîne chacune de ses parties à la suite de décisions multiples non coordonnées.

La situation actuelle s’avère donc toute nouvelle par rapport à l’époque passée. On a l’impression que les anciens "sages" ou pouvoirs politiques qui pouvaient intervenir pour assurer la poursuite du bien commun sont devenus impuissants ; qu’il s’agisse des Etats, des partis politiques ou des organisations professionnelles. Comment ont réagi et réagissent les "forces d’idéal" (Thomas) et, notamment, l’Eglise ? quelles possibilités s’offrent à elles pour agir sur le système ?

II . LA REACTION DE L’EGLISE

Quelques connsidérations générales sont nécessaires avant de chercher quelle a été la réaction du Magistère pontifical devant l’évolution du phénomène économique qui vient d’être décrite. En effet, l’Eglise est le "peuple de Dieu" composé de laïcs et de la hiérarchie ; cette dernière n’a pas vocation à tracer une route à travers un terrain qui n’aurait pas été exploré, mais d’aider les croyants et les hommes de bonne volonté à se diriger dans les situations temporelles où ils se trouvent ; elle est donc appelée à écarter certaines voies et à en jalonner quelques autres.

Il faut se rendre à l’évidence. Les déclarations "humanistes" faites au nom de l’enseignement social de l’Eglise sont sans prise sur les réalités économiques et financières d’aujourd’hui. Des hommes comme Léon Harmel ou Daniel Guérin pouvaient avoir une politique sociale propre dans leurs entreprises ; il n’en est plus de même aujourd’hui, au moins au même degré. L’homme d’affaires, le banquier ... l’opérateur économique au niveau le plus humble sont prêts à ratifier les propos sur la dignité de la personne humaine, sur la nécessité de promouvoir son progrès matériel et spirituel... mais ce sont là des propos qui n’entrent pas dans l’équation qu’ils ont à résoudre quand ils prennent une décision. Une distance existe entre l’objectif moral et les réalités qu’ils doivent vivre. Ceci rappelle ce qu’écrivait le moraliste américain, John Ford, durant la dernière guerre mondiale lorsqu’il s’interrogeait sur l’attitude qui devait être celle d’un pilote de chasse catholique au moment où les Alliés envisageaient les bombardements a tapetto : Nous sommes aussi démunis devant eux que le confesseur de Manhattan qui répondrait à un banquier le consultant sur la moralité d’une opération financière complexe, tu ne voleras pas ; nous ne pouvons leur dire que : tu ne tueras pas. Les hommes sont pris dans des filets qui ne leur laissent qu’une liberté limitée s’ils ne veulent pas s’abstenir de l’action. Une "question de fait", dont l’appréciation est laissée à l’homme d’Etat en union avec la communauté ecclésiale, fait souvent obstacle à une application des principes comme tels ; une distance existe entre, par exemple, l’affirmation de la liberté de conscience et de religion et les conditions concrètes dont elle peut être l’objet dans l’exécution d’un contrat de travail.

Quelles attitudes prendre ?

1 . Les chrétiens ont l’obligation de prendre part aux activités publiques pour autant qu’il est en leur pouvoir.

Certains justifient leur refus de participer aux activités publiques en en appelant à des raisons qui peuvent être naturelles ou religieuses.

* Dès le début de l’ère industrielle, certains se sont opposés, et s’opposent encore aujourd’hui, à l’intervention de l’Eglise dans les domaines sociaux, politiques ou économiques n’ont jamais troouvé d’appui au sein de l’Eglise et, spécialement, de la hiérarchie. L’exploitation des travailleurs par leurs patrons est trop en opposition avec l’Evangile pour ne pas susciter des protestations. L’Eglise a toujours combattu cette appplication de la doctrine libérale qui isolait l’activité économique du champ de la moralité.

* Une autre école est également réservée quant à la participation des chrétiens à la vie économique et sociale mais au lieu d’en appeler au respect des lois qui gouvernent l’ordre naturel des choses, ils mettent en avant leur souci de sauvegarder la pureté de la foi. Pour eux, on ne peut participer à la vie du monde sans accepter des compromissions avec ses orientations matérialistes ; il convient donc de créer une sorte de société parallèle, réduite certes, mais à l’abri de ses contaminations ; ils considèrent comme une stratégie erronée de faire de l’amélioration des conditionsd matérielles de vie un objectif propre ; seule la conversion des coeurs permettra de régler les rapports humains selon la justice. En attendant que ce modèle s’impose sur une échelle nationale, voire mondiale, il faut en montrer la réalisation dans des groupes réduits dont les membres sont décidés, par conviction, à vivre de l’esprit de l’Evangile.

Ce type d’abstention est de nature prophétique ; il est du même ordre que celui de l’objecteur de conscience qui refuse de s’associer à des opérations de guerre au risque de sa liberté et, parfois même, de sa vie. Mais une telle attitude ne peut être généralisée en matière économique, sociale, politique et financière. De même que l’Eglise ne l’a jamais imposée en ce qui regarde la guerre car il est des situations où défendre un pays injustement attaqué est un devoir, de même la pratique de la charité demande d’entreprendre dans le domaine social toute action visant à modifier les structures d’oppression. Tout en maintenant ce point qui est hors de doute qu’on ne peut consentir en aucun cas à faire le mal, ce qui "est intrinsèquement mauvais" selon l’expression des moralistes, procurer le bien des autres ou leur éviter un plus grand mal est un devoir ; la vie de type monastique a certes sa valeur mais elle ne peut être le fait que d’une minorité car l’ensemble a devoir d’apporter son aide, comme le Christ l’a fait lui-même, à ceux qui sont dans le besoin en s’insérant dans la marche globale du système politico-économique afin d’en redresser l’orientation dans la mesure du possible. On ne peut donc ériger en règle que le chrétien doit s’abstenir de prendre des engagements politiques, économiques ou financiers dans la société.

2 . La charité fraternelle interdit de se désintérésser de la vie sociale ; les exigences de la justicepermettent de découvrir comment s’acquitter de cette obligation dans une situation donnée.

La question qui se pose à un opérateur chrétien dans le champ économique ou social est de savoir s’il peut se livrer à des opérations licites en soi mais qui auront des conséquences peut-être désastreuses pour d’autres ; ainsi en est-il de certaines spéculations qui sont essentielles à la marche globale du système mais peuvent échouer (la LLyod). Au nom de la morale coranique, le premier ministre malais a voulu proscrire de telles opérations à terme, résultat : sa monnaie est tombée, ce qui sera source de misère pour beaucoup.

* on ne peut condamner la mondialisation en bloc car elle est source de progrès pour tous et qu’il n’y en a pas d’autre qui puisse aider à résoudre les problèmes de la faim et du développement.

* de plus, on ne peut espérer changer de système ; c’est de l’intérieur qu’il doit être repris par les choix collectifs de ceux qui en assurent la marche. La reprise en mains dépend moins des mécanismes des marchés que de la volonté de les utiliser à telle ou telle fin.

* Comme les lamentations sur l’immoralité de la guerre n’ont jamais retenu un Etat de s’y préparer et d’y recourir, de même celles sur l’injustice du système économique n’empêcheront pas celui-ci d’exister et de se développer dans la logique qui est la sienne. De plus, de même que le recours à la guerre est justifié par la juste cause que l’on y défend et que de fait il n’y a pas parfois d’autre moyen de se protéger contre les "malfaiteurs internationaux et les criminels sans conscience", de même la parcitipation au système économique est le seul moyen à la disposition des divers agents pour satisfaire les besoins essentiels d’un grand nombre et, a contrario, d’empêcher que ne s’accroisse le cercle de la pauvreté.

* Il y aurait illusion devant cette situation de la domination des forces du marché de vouloir créer une sorte de contre-société n’ayant que le moins de contacts possible avec la grande société. L’anthropologie des chrétiens leur demande de considérer tous les hommes comme leurs frères et, spécialement, les victimes du système.

* Il faut donc créer à la fois des cellules de solidarité à la base pour remédier à la pauvreté qu’elle pose le système, les relier entre elles en réseaux et diriger ceux-ci vers la correction des structures de péché.

* Le noeud de l’action des chrétiens dans la société repose sur une anthropologie ; ils considèrent les hommes comme capables de décisions morales surtout lorsqu’ils y sont aidés par l’opinion publique. C’est ainsi qu’ont été votées les premières loi de protection des travailleurs et, surtout, qu’ont été modifiées les règles du jeu du capitalisme libéral industriel en introduisant des institutions correctives du régime de liberté qu’il prétendait imposer ; ce furent les syndicats, les négociations collectives, les régimes de retraite, les congés éducation... L’acquisition de tels résultats a été obtenue grâce à la connaissance des mécanismes et lois internes du système qui permettaient aux revendications d’être réalistés en demandant ce qu’il pouvait supporter.

* Ainsi en sera-t-il avec la mondialisation. Ceux qui sont sensibles aux atteintes à la dignité humaine qu’elle favorise doivent découvrir d’où elles viennent afin de peser sur leurs causes. Il faut donc pour cela connaître les mécanismes et structures internes du mouvement, étudier les exigences actuelles d’une économie humaine et faire des propositions en conséquences.

* L’emploi est au centre des préoccupations : où se trouve-t-il possible ? La recherche fine ou création scientifique et la multiplication des activités de proximité ; celles-ci permettant en plus de créer la nouvelle conscience sociale qui s’imposera aux dirigeants.

3 . Les attitudes concrètes prises par les chrétiens dans la cité seront toujours soumises à révison.

Du fait que la mondialisation est un phénomène naturel et en perpétuelle transformation, il ne faut pas demander à l’Eglise d’apporter à l’avance la réponse aux problèmes nouveaux qui se présentent. Les chrétiens sont aussi démunis que les autres hommes devant les questions nouvelles à résoudre ; les uns et les autres se réfèrent à leurs expériences passées et aux principes généraux qu’ils puisent dans leur interprétation de la vie. L’histoire de la doctrine sociale de l’Eglise face à la mondialisation est donc celle de l’application d’une anthropologie aux réalités de la vie, application sans cesse réévaluée à la lumière de faits nouveaux et au contact des autres courants sociaux qui peuvent révéler des préoccupations qui avaient échappées à la majorité des chrétiens ; ceux-ci doivent être soucieux de distinguer l’essentiel de l’accessoire dans les traditons qu’ils ont réçue grâce à un approfondissement de leur connaissance de l’homme, de sa nature et de sa vocation. Un regard sur les interventions du Magistère permet de confirmer cette interprétation.

LES INTERVENTIONS DU MAGISTERE

PIE XI

La guerre de 1914 fut l’occasion d’une concentration de la production industrielle ; celle-ci terminée, on voulut maintenir les avantages qu’elle avait offerts, ceux d’une production de masse au moindre coût. Comme le nota Jean Marchal : "le capitalisme, à base d’entreprises, soumlises à la loi du marché, a cédé la place à un capitalisme de groupes, qui aspirent à dominer ce marché : un capitalisme moléculaire s’est dégagé progressivement d’un capitalisme atomique, dont il diffère profondément".

Sans doute de grandes firmes ayant conclu des ententes avec leurs concurrents existaient-elles avant 1914, mais elles étaient l’exception ; après la première guerre mondiale, elles vont tendre à dominer la production et le marché ; la concentration est devenue une nécessité et les livres d’économie politique consacrent de longs développements aux cartels, aux trusts, aux ententes de toutes sortes qui se généralisent. L’Europe perd sa position dominante ; comme le notait La situation économique mondiale (1931-1932) publiée par la SDN :"il semble probable que dans le monde d’après-guerre, la répartition par articles du commerce international est en train de subir des transformations très importantes. L’hégémon,ie industrielle de l’Europe occidentale est en train de disparaître. La diminution du commerce d’exportation de la Grande-Bretagne n’est que la plus frappante manifestation de cette tendance générale".

En 1929 survient la crise économique qui frappe durement le monde ouvrier ; la collaboration économique qui se développait sur le plan international est freinée, voire stoppée. Chaque Etat revient à la défense de ses intérêts propres ; ce sont alors les restrictions apportées aux échanges par des moyens divers (manipulation des taux de change, dévasluations, embargo sur l’or, contrôle des changes, licences d’importation, contingentement des produits importés...).

L’encyclique Quadragesimo Anno est publiée, en 1931, au moment où la loi de croissance économique internationale est mise en échec ; elle opte pour que le mouvement soit repris mais que l’homme en maîtrise l’orientation. Pie XI dénonce "le courant funeste et détestable" qu’est "l’internationalisme ou impérialisme international de l’argent pour lequel là où est l’avantage, là est la patrie" (117) ; il lui oppose, comme une exigence morale fondamentale la règle suivante : "les institutions des divers peuples doivenjt conformer l’ensemble des relations humaines aux exigences du bien commun" (118) ; il en indique le moyen théorique, en "(replaçant) la vie économique sous la loi d’un principe directeur juste et efficace" par la création d’un ordre juridique et social qui informe en quelque sorte toute la vie économique" (95)
car "l’interdépendance et la solidarité des nations" exigent "l’avènement d’une bienfaisante et heureuse collaboration économique internationale" (96).

Toute la doctrine sociale que développeront les grandes encycliques et dovcuments en matière sociale au fur et à mesure où le monde avancera vers la mondialisation se truve dans le document de Pie XI :

* acceptation du fait de la croissance organique des relations économiques et financières entre les nations ;

* car les hommes sont interdépendants et solidaires

* l’acceptation de ce fait doit conduire à l’action, c’est à dire à la création d’institutions aptes à la poursuite du bien commun.

Mais tandis que Pie XI, dans Quadragesimo Anno, laisse percer sa préférence pour un retur aux corporations (il parle de "replacer la vie économique sous la loi d’un principe directeur juste et efficace" (95), ce qui implique une référence au mythe qau’une telle situation aurait été réalisée dans le passé), l’encyclique Divini Redemptoris semble en avoir rabattu de cet optimisme. Les n° 53 et 54 sont ici significatifs ; ils évoquent bien la constitution d’ "institutions groupant employeurs et travailleurs" "fondées sur des bases solidement chrétiennes", mais il admet que celles-ci dépendent de l’accord de tous : "la justice ne peut être observée par chacun que si tous s’accordent à la pratiquer ensemble moyennant des institutions" appropriées (53) ; la question se pose alors de savoir quelle attitude un chrétien doit prendre dans une telle situation. On ne peut pas dire que Pie XI ait traité ce problème qui sera de plus en plus brûlant après la deuxième guerre mondiale de la présence des chrétiens dans la société pluraliste ; mais quelques allusions se trouvent dans Divini Redemptoris que les Papes suivants développeront :
* n° 24, si "le système" marxiste est rejeté, il est demandé d’avoir une grande charité à l’égard de ceux qui lui sont soumis "pas de condamnation en masse des peuples de l’URSS"
* n° 58, ne rejette pas la collaboration sur le terrain humanitaire avec les communistes
* n° 69, la collaboration avec les organes officiels se réclamant du communisme n’est pas exclue afin d’y "porter l’esprit chrétien" ; "nous ne ne pouvons pas faire tout le bien et rendre tous les services sans elles".

L’étendue de la collaboration avec les non-chrétiens qui est ici enisagée par le commentateurs de Divini Redemptoris n’était pas sans doute présente à l’esprit de Pie XI ; celuui-ci donne sa préférence aux organisations catholiques étroitement associées à la hiérarchie et voit dans l’Action catholique son auxiliaire direct sans exclure toutefois que des associations religieuses puissent exister à côté (Divini Redemptoris n° 67)

PIE XII

Face à l’accroissement des relations internationales dans le domaine économique et financier, Pie XI avait réclamé une intensification des rapports politiques et la création d’institutions ad hoc.

Pie XI avait rêvé d’un monde international, qui serait demeuré pour longtemps dominé par les pays occidentaux et accepterait de se soumettre aux principes chrétiens ; ; mais cette aspiration paraissait moins sûre en 1937 qu’en 1931 car la volonté du communisme d’étendre sa domination internationale était patente comme l’existence de mouvements d’idéologies diverses dans le monde occidental. On commençait à repenser la question de la relation des Chrétiens avec le monde : à l’idée d’une reconquête allait se substituer celle de la colexitence et de la collaboration des croyants avec des non-croyants.

Pie XII a joué un grand rôle dans la révolution culturelle qui a été nécessaire pour que les populations européennes abandonnent les schémas directeurs dont ils s’étaient inspirés pour règler leurs rapports avec la société civile. Trois étapes marquent l’évolution de sa pensée :

* Le Message au monde de Noël 1941 ainsi que de nombreux autres discours soulignent que l’ampleur des tâches de la reconstruction demandera la collaboration de tous ; déjà des remarques analogues avaient été faites à la fin de la première guerre mondiale mais elles avaient été une réponse sans lendemains à des circonstances particulières alors que les considérations des années 40 se révéleront avoir été un moment dans le processus de réévaluation des positions traditionnelles.

* la construction de l’unité européenne a modifié le cadre de réflexion sur la présence du christianisme dans la société. En effet, elle a fait apparaître que la disparition de l’Etat confessionnel était la règle puisque tous les citoyens de l’union politique devaient jouir des mêmes droits, notamment en matière de liberté religieuse, sur tout le territoire de l’union. Cette constatation conduit Pie XII a envisager que des religions différentes puissent avoir les mêmes droits sur un même territoire et à commencer une nouvelle réflexion sur la tolérance comme sur la responsabilité de l’homme politique chrétien dans cette situation ((All. ai giuristi cattólici italiani 6 décembre 1953)

* la guerre froide offrit elle aussi une nouvel occasion de dépasser la distinction et oppposition croyants et non-croyants pour constater l’égalité dans laquelle se trouvent les hommes épris de rectitude morale devant les violations des droits fondamentaux de l’homme par le communisme (Pâques 1954 et Noël 1956). Une solidarité naturelle existe entre eux dont la force est capable de renverser le mur de séparation entre les peuples.

Il ne semble pas que Pie XII ait insisté beaucoup sur le mouvement des forces économiques vers leur intégration d’autant que sa pensée, comme Pape, se forma à un moment où le commerce international avait disparu ; il fut avant tout sensible à l’unité spirituelle des régions et du monde comme à la puissance qui pouvait être la sienne.

On trouve bien chez Pie XII l’idée d’un projet chrétien se société dans laquelle la hiérarchie aurait une influence majeure et où les non chrétiens n’auraient guère de place (ils seraient tolérés au sens restrictif du terme) ; il n’en reste pas mopins celui qui a ouvert la brèche par laquelle allait passer la demande d’une société pluraliste de la part des chrétiens. Ayant constaté que l’Eglise était absente de l’Est et ne pouvait à elle seule ébranler la superstructure des blocs, il fait appel aux hommes droits de l’un et l’autre côté pur imposer ensemble la valeur supérieure de la paix.

JEAN XXIII

Les deux thèmes qui accompagnent la marche vers la mondialisation sont présents dans Jean XXIII, mais, il semble, qu’il rompt avec le discours moralisateur de ses prédécesseurs. Celui-ci établissait comme une distance entre le discours chrétien et le monde réel ; sans doute les conséquences néfastes de la globalisation étaient-elles critiquées mais l’analuyse restait à l’extérieur du processus. Avec Mater et Magistra apparaît un nouveau type de discours pour souligner l’enchaînement des forces économques et sociales.

* La socialisation est un "trait de notre époque" (59) que ces "interdépendances" accroissent les biens sociaux ; fait reconnu en droit public et privé. Elle est constitué par un "enchevêtrement des liens sociaux" (Barrère) "en vue d’atteindre des biens désirables pour chacun, mais hors de portée des individus isolés" (60).

Cette socialisation est à l’origine d’une "intervention croissante de l’Etat dans les matières touchant à l’intime de la personne" (60)que sont la santé, l’éducation, la réhabilitation des handicapés, l’orientation professionnelle...

La socialisation présente des avantages (61)
mais l’interventionnisme de l’Etat est cause d’ "un rétrécissement du champ de liberté des individus" ; de nombreux "conditionnements" rendent difficile à chacun de "juger indépendamment de toute influence extérieure" (62).

L’homme n’en reste pas moins libre "responsable de ses actes" "bien qu’il doive reconnaître les lois de l’humanité en devenir et celles du mouvement de l’économie et ne puisse se soustraire entièrement à l’influence du milieu" (63)

Pour parer à ce danger, les responsables politiques doivent avoir une claire notion du bien commun ; de plus les corps intermédiaires et associations doivent jouir d’une réelle autonomie et poursuivre leurs objectifs dans la concorde et en vue du bien commun ; ils sont au service de leurs membres et doivent participer "organiquement" (Paul VI) à la vie économique et sociale.

En résumé, Mater et Magistra ne se contente pas de relever l’interdépendance croissante dans laquelle se trouvent les hommes ; ceux-ci ont "l’impression d’habiter tous la même demeure" (157) et de "(dépendre) toujours plus étroitement les uns des autres" (157) ; elle en analyse le mécanisme qui est celui de la socialisation ; ainsi se dessine le milieu oùm devra s’exercer la responsabilité des hommes pour effacer l’écart qui existe entre les conditions économiques et sociales des uns et des autres.

Ce que refuse l’Eglise c’est de voir établir comme règle suprême de l’économie l’intérêt des individus et des groupes, la libre concurrence illimitée, l’hégémonie des puissants, l’ambition nationale de dominer... (Gaudium et Spes note 120 p. 254) ; ce que veut l’Eglise, c’est soumettre l’économie à la justice et à la charité.
Vaste programme dont Pacem in terris va étudier les conditons de réalisation.

PACEM IN TERRIS

Cette encyclique prend le phénomène de la mondialisation sous l’angle politique.

* affirmation de la nécessité d’une autorité mondiale (130 et sq). Les économies étant partie d’une unique économie mondiale, les Etats ne sont plus en mesure d’assurer le bien commun universel (132) et doivent donc renoncer à leur souveraineté au profit d’une autorité publique à vocation mondiale (137. Celle-ci doit répondre à certaines exigences : elle doit être démocratique c’est à dire reposer sur l’accord unanime des populations et respecter le principe de subsidiarité (141).

* l’importance de valeurs universelles est également soulignée dans Pacem in terris. Ce qui a été dit sur l’Etat démocratique va déjà dans ce sens ; mais également :

= l’ordre du monde est lié à une analyse anthropologique (non socio-économique) ; il est ordonné au bien des personnes (43, p.64)

= comme l’homme est un être social, le bien des personnes se trouve quand elles "se rencontrent dans le monde des valeurs spirituelles dont l’assimilation progressive leur permet un développement toujours plus poussé" (100)

* la participation des chrétiens à la vie publique a été l’un des points nouveaux de l’encyclique. Elle n’est plus regardée comme celle d’un corps qui cherche à reconvertir les institutions existantes selon la mporale catholique. Acte est pris de ce qu’un tel objectif n’est pas atteignable et que nous sommes en société pluraliste. Comme il est dit : les chrétiens s’efforceront d’obtenir" (146), de "trouver de quelle façon et à quel degré, les principes doctrinaux et les directives doivent trouver leur application dans la situation actuelle de la société" (154) ; il ont à "examiner jour après jour comment soumettre les conditions sociales aux exigences de la justice" (155).

* la tactique selon laquelle ils s’efforceront de réaliser le programme de présence aux réalités sociales est ainsi précisé :

= ils chercheront à modifier les institutions humaines "de l’intérieur et de façon progressive" (162)

= ils collaboreront avec les non-catholiques (156)

= c’est pourquoi l’encyclique est adressée non seulement au peuple chrétien mais à tous les hommes de bonne volonté. Avec Pacem in terris, l’Eglise entre dans la perspective pluraliste.

Gaudium et Spes

Il ne semble pas que ce document ouvre de nouvelles perspectives ; il présente plutôt en une synthèse plusieurs points présents dans des encycliques antérieures en leur donnant l’autorité du Concile.

Le point de départ de la réflexion est l’internationalisation croissante du monde (63) et de ses conséquences néfastes puisque "le luxe y côtoie la misère". Il faut donc "corriger ce funeste état de choses" ; critique de l’économisme (63).

"Le développement soit donc demeurer sous le contrôle de l’homme" (64) ; or certains s’enrichissent et "un petit nombre d’hommes ou de groupes jouissent d’une trop grande puissance économique" ou politique.

L’autodéveloppement du système n’est pas vue (cf. note 120 p. 252). De même on ignore que l’activité financière se déroule pour elle-même étant source d’abus tout en assurant l’expansion du système.

Il faut que l’économie soit au service de l’homme ; oui ! mais chacun est pris dans un tourbillon. La mondialisation est comme un typhon qui se propage en attirant tout dans son coeur.

POPULORUM PROGRESSIO

Cette encyclique est celle de la prise de conscience de la mondialisation. Elle s’inscrit dans la ligne de Mater et Magistra qui avait ouvert la voie mais elle en tient ses limites. En effet, ces deux documents sont sous l’influence dominante du sous-développement plus que centrés sur les mécanismes économiques et financiers qui y contribuent. Comme tel, cependant, Populorum Progressio constitue une avancée de la réflexion de l’Eglise et le monde moderne.

Ce qui frappe dans Populorum Progressio, c’est le caractère global de l’analyse ; la pauvreté est le fruit d’un système qui n’accomplit pas sa fonction globalisante d’entraîner tous les hommes (individus et peuples) dans la croissance. Le diagnostic est porté à l’échelle du monde ; l’objectif est également à ce niveau mais les moyens de l’atteindre ne sont pas indiqués ni même suggérés. Il n’en reste pas moins que cette encyclique a joué un rôle considérable pour faire prendre conscience de l’existence d’un désordre global dans le monde ; global, c’est à dire dans lequel chacun (individu et peuple) avait une part de responsabilité.

Les points forts de l’encyclique :

* la vision mondiale du développement : "la question sociale est devenue mondiale" (3)

* le progrès des peuples et des individus (4) dépend de mesures prises à l’échelle mondiale

* ce progrès doit être recherché car il correspond à la "vocation" de l’homme (15,42,65) de croître en tant qu’individu et membre d’une communauté

* cette croissance est un "passage" d’un état de moindre développement à un autre de plus grand développement (20) qui dépend d’une action d’ensemble entreprise à l’échelle du monde

* il faut juger de ce point de vue les relations commerciales internationales, pdv de la justice (61)

* les problème nouveau de la rencontre des civilisations (10, 54,73...) ; avec le mot fraternité, ce sont les deux mots qui ont le plus de références à l’index analytique de l’édition du Vatican

Ce qui nous paraît aujourd’hui daté

* la confiance excessive aux programmes de planification (33)

* l’analyse insuffisante des modes de collaboration et de dialogue ; les mots y sont, c’est tout (54)

* le moment où l’encyclique a été publiée a été celui d ela mondialisation ; on pensait qu’un certain dirigisme international remettrait le monde en place ; on rêvait d’une certaine planification à l’échelle mondiale ; la globalisation n’est pas encore perçue

.
JEAN-PAUL II

Sollicitudo Rei socialis a été publiée à l’occasion du 20ème anniversaire de Populorum Progressio ; elle s’inscrit dans sa ligne et la prolonge.

SRS reconnaît que l’analyse de PP quant au retard des PVD et la perspective de le rattraper est aujourd’hui de peu de valeur ; cette mondialisation à venir est abandonnée car on se trouve dans une situation de globalisation. Celle-ci est saisie à travers deux concepts, ceux de "mécanislmes pervers" et de "structures de péché"/

Les mécanismes pervers. Ils sont "dénoncés" (16) car, de natture économique, financière ou sociale, "ils fonctionnnent souvent d’une manière quasi-automatique, rendant plus rigides les situations de richesse des uns et de pauvreté des autres". De plus, ces mécanismes fonctionnent au bénéfice des plus puissants.

Ces "mécaqnismes pervers" font obstacle au développement (35), ils doivent être remplacés ; ce qui suppose une volonté politique efficace ; celle-ci dépend des personnes et de "leurs prises de position essentiellement morales".

Les structures de péché (35) sont celles "qui naissent des actes concrets des personnes, qui les font naître, les consolident et les rendent difficiles à abolir".
L’expression est repirse aux n° 37 et 39 ; le Pape y souligne que, créant des exclus, elles mettent la paix en danger.

Il semble bien que dans SRS, Jean-Paul II n’a pas cette vision englobante que nous avons dix ans après ; de plus, il semble plutôt attendre leur disparition de la conversion individuelle des responsables de la politique et de l’économie.Si un "changement des attitudes spirituelles" (38) est indispensable vis à vis de soi-même, du prochain et de l’environnement, il doit se traduire au plan de l’action ; cette dimension n’est pas reprise dans SRS.

Toutes ces encycliquess sont des variations sur un même thème ; mais leur prestation dépend du moment où elle est exécutée, de la connaissance que l’on a de la vie économique, d’une degré de moralité d’une société.

Le thème central se trouve condensée dans cette proposition : lorsqu’il analyse les faits sociaux, le moraliste se trouve avoir à répondre à cette question : comment assurer la coexistence ou cohabitation pacifique des habitant d’un territoire ou de l’ensemble de la planète ; c’est de ce point de vue qu’il va juger les théories anciennes et formuler ses propositions en vue de préparer l’avenir.

Cette méthode a été inaugurée par les théologiens espagnols du siècle d’or allant de Vitoria à Suarez : devant les faits de la conquête, ils ont réfléchi sur l’unité du genre humain et proposé les concepts qui permettaient de la traduire en système politique : jus naturale et jus gentium. Ils ont affirmé ainsi le roc inébranlable sur lequel est construit toute société humaine en tant que la nature est l’oeuvre de Dieu et la
part de l’homme dans le développement des choses humaines ; part de l’homme qui n’est pas libre-arbitre mais exercice d’une responsabilité pour inscrire le plan de Dieu dans la réalité (Gaudium et Spes 43.2).

La position des théologiens espagnols n’est pas purement intellectuelle ; elle est complétée par une action auprès de ceux qui peuvent remettre les relations des peuples indiens avec les Espagnols sur une voie juste. L’histoire est témoin d’un lobbyng auprès des hommes en place capables d’agir sur la situation.

Le courant chrétien-social a été fait du renouvellement de cette atitude double, conservateurs et libéraux s’appuyaient sur les exigences fondamentales de l’ordre pour militer soit en faveur du retour aux institutions anciennes soit en vue de faire entrer les chrétiens dans l’ère des libertés modernes.

Le combat qui se livre présentement est du même ordre : il s’agit d’une part de juger des courants contemporains de l’économie, de la politique... à favoriser ou non une plus grande coexistence de tous les hommes et de s’engager pour telle ou telle évolution des événements.

L’appui doctrinal donné à une plus grande coexistence n’est pas d’ordre économique ou politique mais doctrinal ; il ne juge pas -ce qui a été l’erreur du progressisme- de la valeur d’une évolution du monde en fonction de ses mérites internes mais en confrontant ses résultats avec les exigences dominantes actuelles d ela morale sociale : la paix, la croissance de chacun et de tous en humanité, la participation organique dans la société.... Telle a été la méthode suivie très clairement par les encycliques sociales depuis Jean XXIII. Sollicitudo Rei socialis a été particulièrement éloquente sur ce point en parlant de "faits d’ordre moral" parce que leur connaissance appelle une réaction des individus et de "structures de péché" montrant l’importance de l’analyse sociale et de la bécessité de la relier aux décisions de chacun. Centesimus Annus a quant à elle grandement approfondi l’anthropologie chrétienne comme fondement de la responsabilité personnelle dans la société.

L’engagement des chrétiens dans la vie sociale a peut-être été moins développée au cours de ce dernier demi-siècle, en dépit des nombreuses déclarations en ce sens. D’une part il n’y a pas d’encyclique qui n’insiste sur les points suivants : responsabilité des laïcs vis à vis de l’économie et de la politique ; mais sur la manière d’organiser cette présence, de manière "intérieure" et "progressive" (Pacem in terris) peu a été écrit. Faut-il en attribuer la cause aux évolutions qu’ont connues nombre d’associations catholiques ou même chrétiennes qui se sont progressivement laïcisées ? ou aux difficultés inhérentes à la présence d’un parti à référence religieuse dans une société pluraliste ?

Une révision des modes de présence des catholiques dans la société s’impose. Quelques caractéristiques apparaissent déjà :

* abandon de toute forme d’agressivité

* nécessité d’une présence spécifique au plan économique et social

* collaboration avec les hommes de bonne volonté

* éducation à la prise de décision librement et en union avec l’Eglise

Mais des progrès ne seront faits en tous ces domaines que si les populations chrétiennes sont éduquées à discerner dans les événements les enjeux qu’ils présentent pour la foi : favorisent-ils la foi ou non ? L’approche du développementfavorise-t-elle la participation ? Il est clair que, de ce dernier point de vue, l’opacité dans laquelle s’intensifie la globalisation constitue un danger en enserrant l’homme dans un système dont il réprouverait les finalités s’il était libre.

CONCLUSIONS

1 . Si l’on va au fond de la méthode de la doctrine sociale de l’Eglise, on peut définir celle-ci comme la réponse que fait une époque ou une école aux problèmes fondamentaux de la société à une époque ; il s’agit toujours d’organiser la "convivence" ou coexistence des membres d’une société en tenant compte des contraintes naturelles ou historiques qui pèsent sur elle.

2 . Il résulte de cet objectif que la doctrine sociale de l’Eglise a deux volets, l’un doctrinal qui offre une grille de lecture intellectuelle des situations pour dire combien elles favorisent la paix socialze ou lui font obstacle.

3 . Trois constantes se retrouvent dans les documents du Magistère :

* aucun mécanisme social ne peut se substituer à la dignité de l’homme, c’est à dire à sa vocation à répondre à l’appel de Dieu contenu dans les choses (Centesimus Annus n° 13)
* si l’homme est libre, sa liberté n’est pas anarchique ; elle doit être encadrée par des mesures et institutions prises par les autorités aussi bien dans les domaines économique que politique ou socio-culturel (Centesimus Annus n° 42 p. 67)

* les mesures que les autorités sont conduites à prendre doivent aussi bien tendre à démanteler les "structures de péché (Sollicitudo Rei socialis ? 9, 36 ; Centesimus Annus ? 38 p. 61) qu’à mettre au point des instruments efficaces de solidarité (Centesimus Annus n° p. 28).

4 . L’action sur les structures n’est énoncée que d’une manière très générale. Il faut cependant noter à ce propos :

* Pie XI élabore comme les grands lignes d’un corps de combat catholique pour "la restauration de l’ordre social en pleine conformité avec les préceptes de l’Evangile" (titre de Quadragesimo Anno) ; celui-ci est constitué d’un état-major que forme la hiérarchie qui a comme troupes d’élité l’action catholique ; un supplément de forces se trouve dans les associations catholiques qui ne rentrent pas dans la première catégorie. Ce schéma correspondait à la mentalité de reconquête qui dominait alors les esprits.

* A partir de Pie XII, ce modèle d’organisation des catholiques se révêlera de plus en plus inadapté aux réalités sociales. L’idée d’une collaboration des chrétiens et des non-chrétiens s’impose dans des circonstances précises, notamment la reconstruction de l’après-guerre et la lutte contre le communisme qui est vue comme devant triompher grâce à l’alliance des hommes droits par dessus les frontières.

* Le principe de cette collaboration des chrétiens avec "hommes de bonne volonté" va devenir de règle avec Jean XXIII (Pacem in terris) et avec le Concile ( décrets sur l’oecuménisme, sur les religions non-chrétiennes).

* Les conditions concrètes du dialogue seront énoncées par Paul VI mais ne passeront guère dans la réalité. En effet, l’héritage culturel du christianisme n’y prépare pas les chrétiens : l’image d’une Eglise incarnant le "pouvoir" spirituel est encore forte dans la société ; d’autre part, la formation intellectuelle qui est donnée depuis des siècles a beaucoup insisté sur la démonstration de la vérité et n’a pas préparé aux rééxamen des "certitudes" reçues du passé à la lumière de la réflexion des gens du dehors (Pie XII, Noël 1956).

* de plus, il s’est trouvé que le renouveau chrétien qui a suivi le concile Vatican II a développé les mouvements intra Ecclesia car ceux qui constituaient le tissu de présence des chrétiens dans la société civile ne correspondaient plus aux nécessités du moment. Aucune rénovation de ceux-ci n’a eu lieu. Il en résulte un vide pour la présence effective de la pensée sociale de l’Eglise dans la société.

FACE A LA GLOBALISATION, L’EGLISE EST-ELLE DEMUNIE ?

Le mouvement qui entraîne le monde vers la mondialisation/globalisation semble irréversible. La course vers les gains et, plus encore, vers la puissance économique mobilise toutes les forces vives des pays et elles sont obligées de suivre sous peine de sombrer dans la médiocrité ou la pauvreté. Face à cette situation, l’Eglise apparaît comme celle que voyait Staline dépourvue de "divisions" susceptibles d’affronter la machine de guerre hitlérienne.

On ne peut dire cependant que l’Eglise soit absente du débat qui est engagé sur les valeurs que les sociétés tiendront comme régulatrices de leurs activités économiques ; elle reformule sans cesse la préoccupation constante qui est la sienne à savoir que la "misère" est "imméritée" et que cette situation appelle à modifier les structures économiques et financières. De là, les deux questions :

1/ comment s’exerce et évolue ce type d’intervention ;

2/ quelle est son efficacité ?

1 . Evolution des interventions de l’Eglise dans le champ économique.

On découvre une constante au cours du siècle écoulé dans les interventions de l’Eglise dans le champ économique ; elle demande que les mécanismes soient tels qu’ils facilitent le édéveloppement matériel et progrès spirituel" de tous les hommes ; mais elle adapte son discours aux circonstances historiques ; chacune de ses interventions répond à la nécessité urgente d’agir sur tel ou tel point qui sont le signe d’une situation particulièrement injuste.

Le souci de dénoncer le type de pauvreté qui prévaut à une époque a conduit l’Eglise à approfondir ce concept dans la mesure même où les hommes d’une époque donnée prenaient conscience de leur impuissance face à la force dominante de l’économie. Tandis que Rerum Novarum reste à une conception rurale de la pauvreté en parlant de repos hebdomadiare, de juste salaire..., Quadragesimo Anno signale l’importance des structures économiques. Il s’en suit que Rerum Novarum trouve dans la conception traditionnelle de la justice commutative, distributive et légale l’armature pour justifier ses requêtes, tandis que Quadragesimo Anno introduit le concept de justice sociale qui permet à la fois de souligner le caractère évolutif des relations économiques et de faire passer la responsabilité sociale des relations contractuelles entre patrons et ouvriers à l’étude des éléments qui composent la société et à l’aménagement des divers organes de ce corps.

La doctrine sociale se développera alors dans une double direction. D’une part, elle embrassera une nouvelle dimension de la pauvreté quand elle parlera de pauvreté intellectuelle et spirituelle, d’autre part elle passera de la simple justice, même animée par la charité (Pie XI) à la solidarité. La notion était certes présente dans les documents des Papes qui ont précédé Jean-Paul II mais il lui revient d’avoir mis en évidence qu’on se trouve là devant un principe de base car l’unité du genre humain n’est pas seulement un fait quelconque, mais un "fait d’ordre moral qui a son fondement dans l’analyse de la réalité" au point de "toucher la conscience qui est la source de décisions morales".

L’originalité de Jean-Paul II est d’avoir insisté sur cet humanisme qui place en son centre la liberté morale de la conscience. Celle-ci s’exerce vis à vis du système économique dont elle doit comprendre le jeu des mécanismes économiques et les finalités qu’on leur fait poursuivre. Comme ses prédécesseurs, Jean-Paul II n’accepte pas que l’homme soit déterminé ; sa grandeur est précisément de prendre conscience de l’ensemble des forces qui l’entourent et de les mettre au service de chaque homme et de tous les hommes.

La philosophie sociale de Jean-Paul II s’applique parfaitement au phénomène de la mondialisation. Un rapport existe entre le mouvement qu’elle constitue et la destinée de l’humanité à se regrouper dans l’unité ; mais il y a de fausses unités qui reposent sur la méconnaissance de l’égalité fondamentale de tous les hommes et de leur vocation à agir comme des partenaires libres dans la société et au contraire celles qui naissent de la reconnaissance de la fraternité et solidarité universelles. C’est à travailler en ce sens que tout homme est invité.

La doctrine qui vient d’être exposée est certes très belle mais comment l’inscrire dans la réalité quand le moteur qui entraîne l’économie est source de dépendance et d’inégalité ? De quelles forces dispose l’Eglise pour accomplir cette tâche ?

2 . Les structures d’intervention de l’Eglise dans la société

Si la stratégie de l’Eglise que suit l’Eglise pour réorienter l’ordre social dans un sens plus humain repose sur sa conviction que les hommes peuvent se convertir à des valeurs supérieures et ne pas faire de la force économique leur raison de vivre, les interventions parlesquelles elle cherchera à faire prévaloir ce point de vue ne seront pas d’ordre politique mais moral. Elle ne tentera pas d’imposer un régime de justice sociale en faisant d’un parti politique ou d’un gouvernement le bras séculier d’une vérité sociale ; sa confiance repose sur la capacité qu’elle prête à l’homme de choisir le bien quand celui-ci lui est présenté. Telle est la raison pour laquelle ses enseignements récents insistent sur le caractère inadmissible de la violence, de la guerre et de la pauvreté ; elle trouve là un appui dans les medias qui rendent chacun témoin des grandes misères de ce monde ; mais elle ne se contente pas d’exercer la pitié ; elle appelle à en cherche rles causes afin d’agir sur elles.

La stratégie de la lutte contre la misère se déroule à divers niveaux :

* action directe. L’on trouve ici toutes les organisations de volontaires, les activités des congrégations religieuses près des plus déshérités ; le secopurs en cas de catastrophe, Cor Unum.

* action indirecte, éducative. Elle repose que tout homme, quelle que soit sa religion ou sa croyance, est titulaire d’une nature morale qui lui permet de reconnaître l’injustice criante de certaines situations et les lui fait juger insupportables car "indignes" de la solidarité qui unit tous les hommes. Cet appel à la conversion se déroule à divers niveaux ; il appelle chacun à se demander en conscience ce qui dépend de lui dans la situation où il se trouve : réunions internationales, vie familiale et éducation des plus jeunes, vie professionnelle.

Chers frères et chères soeurs dans le christ. Vous serez peut-être à penser en cet instant : les racines chrétiennes de l’Europe, la paix mondiale, la liberté religieuse, la réunion des chrétiens, sont bien les défis cruciaux de notre temps, mais que puis-je faire, moi, tout seul ? Est-ce que je peux vraiment apporter ma contribution ? A cette question, je vous apporte une réponse : OUI, toi individuellement, tu peux amorcer le mouvement ; car toute bonne résolution, toute prise en charge volontaire d’une tâche ne se décident jamais que par un individu. Et même s’il est ensuite nécessaire que les efforts de chacun soient reliés ensuite à ceux d’autrui pour obtenir de grands effets, il n’en reste pas moins que le "oui" de chaque personne, formulé avec générosité et fidèlement maintenu, dans sa sphère d’activités, est indispensable pour amorcer et promouvoir efficacement ces améliorations profondes au niveau de l’Eglise comme de la société.


23.10.97

La mondialisation/globalisation résulte de l’action d’une sorte de virus , c’est à dire d’un principe interne qui se développe dans l’économie depuis le début de l’industrialisation. Ce fait conduit à se poser une première question, celle de savoir si on se trouve d’un déterminisme auquel on ne peut échapper ou d’un processus qui a certes pris des caractères contraignants mais qui ne lui sont pas essentiels. Il y aurait alors une aspiration à un développement unitaire des populations de la planète, mais les finalités qu’il poursuit actuellement ne seraient pas exclusives. La responsabilité des chrétiens et des hommes de bonne volonté serait alors de combattre ses effets négatifs en connaissant les "structures de péché" et en agissant pour les transformer en "structures de solidarité".

Il n’y a pas lieu d’arrêter le processus de mondialisation (ce qui serait d’ailleurs impossible) ; celui-ci est en effet porteur du destin de l’humanité ; il concourt à la rassembler dans l’unité et, de ce point de vue doit être favorisé ; mais cette construction, telle qu’elle est engagée actuellement, repose sur une base fragile car elle ne correspond pas pleinement à la vérité de l’homme. Le rôle de l’Eglise est d’aider à en consolider les fondements.

Un texte de Pie XII, tiré de son Message de Noël 1956, illustre parfaitement quelle est la position de l’homme devant les transformations du monde ; celles-ci ne mettent pas seulement en cause des facteurs d’ordre économique ou financier ; elles sont conditionnées par la réalité humaine :

Il n’y a donc pas à s’étonner que l’homme moderne, quand il aborde la vie sociale, le fasse avec le geste du technicien qui, après avoir démonté une machine jusqu’à ses pièces les plus essentielles, se met à la reconstruire selon un modèle à lui. Mais quand il s’agit de réalités sociales, son désir de créer des choses entièrement novelles se heurte à un obstacle insurmontable, à savoir la société humaine avec ses organismes consacrés par l’histoire.

La vie sociale est en effet une réalité qui est venue à l’existence de façon lente et à travers de nombreux efforts, et par l’accumulation, en quelque sorte, des contributions positives fournies par les générations précédentes. C’est seulement en appuyant les nouvelles fondations sur ces couches solides qu’il est encore possible de créer quelque chose de nouveau. La domination de l’histoire sur les réalités sociales du présent et de l’avenir est donc incontestable et ne peut être négligée de quiconque veut y mettre la main pour les améliorer ou les adapter aux temps nouveaux.

Si les réalités sociales ne sont pas comme une matière inerte dans les mains de l’ingénieur, c’est qu’elles sont le produit d’une humanité en marche vers son destin selon les exigences de sa nature qui, à haque époque, veut vaincre les réalités économiques pour permettre à ses exigences profondes de s’inscrire dans la réalité. Il y a donc une double continuite dans le monde ; elles sont en rapporrt dialectique : d’une part, la marche de l’homme vers l’égalité (Tocqueville), de l’homme qui applique son génie à plier les institutions politiques et réalités économiques à cette exigence ; d’autre part, une loi interne de ce développement qui veut que celui-ci corresponde aux nécessités permanentes que les individus veulent voir satisfaites pour se sentir eux-mêmes. Leur longue expérience "accumulée" leur a montré que certaines formes de réaliasartions sociales sont indisensables, comme la famille, l’existence de structures politiques, les institutions de solidarité ou d’éducation etc...

Le chrétien n’aborde donc pas démuni la question de sa responsabilité à l’égard de la mondialisation. Même si le phénomène semble le dépasser, dans ses dimensions techniques car aujourd’hui nul ne peut les maîtriser, il sait qu’il peut agir sur elles indirectement en contrebalaçant la philosophie dont elles s’inspirent par une autre fondée sur une connaissance de l’homme plus complète. En vue de se livrer à un tel examen, il convient d’abord de relever "ce qui ne va pas" dans la situation actuelle.

Les points à reprendre

Les points à reprendre sont ceux qui ne correspondent pas à l’anthropologie chrétienne : pour elle, chaque homme, et tous les hommes, sont appelés à réaliser leur "développement matériel et progrès spirituel" ; non pas les uns contre les autres, mais ensemble ; les hommes sont en effet naturellement solidaires car ils ne peuvent survivre et se développer sans se soumettre à une exigence d’unité et de solidarité.

Or, le système économique actuel :

* élargit la distance entre riches et pauvres du fait que sa logique de compétition entraîne une croissance inégale, déstructure les équilibres existants, repose sur un accès inégal aux technologies, facilite l’exode des cerveaux...

* augmente le nombre des pauvres en favorisant le sous-emploi, en provoquant les migrations intérieures et internationales

* augemente le nombre des marginaux car reposant sur une logique de croissance concurrentielle il conduit à supprimer les avantages sociaux (santé, éducation, servives sociaux...) ; il ne pourvoit pas, par exemple, à la satisfaction des besoins essentiels d’un grand nombre d’êtres humains en matière de nourriture et de logement

* n’assure pas la participation organique de tous aux décisions qui les concernent du fait de la concentration et de l’opacité des organes de direction, tendance facilitée par l’affaiblissement des syndicats du fait que les décisions sont prises à un niveau au-dessus d’eux, spécialement du fait des ententes transnationales
* obéit à une logique qui, si elle favorise le rapprochement des peuples, suit en même temps les impératifs de la croissance qui marginalisent de larges couches de population
* dépossède les Etats du rôle de régulateur et de garant des intérêts des populations qui vivent sur leur territoire ; ils ne sont plus en mesure de contrôler les firmes transnatonales et se plient souvent à leurs exigenecs économiques et financières afin de les conserver sur leur territoire où elles sont source d’emplois, de revenus (par les impôts), de dynamisme économique...
* n’a pas transféré ce le rôle régulateur des Etats aux Instutions internationales ; sans nier leur importance, elles ne constituent pas un véritable contrepoids à toutes les tendances négatives qui viennent d’être relevées.
est soumis à une logique qui d’une part favorise la constitution d’une véritable société internationale, mais en même temps celle-ci n’a plus d’autre règle que la croissance.
* ne trouve pas dans les Institutions internationales le contrepoids de ces tendances négatives
Aspects positifs de la marginalisation
Il serait faux de diaboliser la mondialisation. Les aspects négatifs qu’elle comporte ne doivent pas empêcher de voir les effets positifs qu’elle présente au point que nul ne pourrait proposer sérieusement aujourd’hui de tenter de revenir en arrière.
* La compétition qui est l’élement essentiel de son dynamisme a été l’origine d’un progrès technologique inimaginable il y a moins d’un siècle.
* La production de masse de produits standardisés et au prix le plus bas a permis d’atteindre une clientèle toujours plus large et lui apporte le bien-être en la dispensant de nombreux travaux pénibles qui étaient coutumiers dans le passé.
* l’époque moderne connaît grâce à la mondialisation des moyens nouveaux de culture et de loisir.
* Les transports sont devenus rapides et peu onéreux comme les autres moyens de communication ; leur usage toujours plus répandu permet d’élargir les moyens de connaissance, d’échange et de développement jusque là inconnus.

* Les moyens d’éliminer la faim, la maladie, la pauvreté et l’ignorance existent ; il manque seulement de les mettre en pratique sur une vaste échelle.
* Nombre de travaux pénibles ont été éliminés ; la sécurité dans le travail a été améliorée.
* Les institutions sociales et politiques ont été perfectionnées et garantissent des relations sociales beaucoup plus calmes et ordonnées que dans le passé.
Certes les quelques avantages dont il vient d’être fait mention ne sont pas également répandus ; c’est à y travailler que l’on doit s’employer afin d’humaniser la mondialisation.

L’enjeu

La question est de savoir comment maintenir le dynamisme du système économique tout en le soumettant à cette loi exprimée par A.Thomas, durant l’entre-deux-guerres : le social doit vaincre l’économique.

La victoire du social ne sera pas assurée seulement par l’adoption de dispositions contraignantes. Des mesures économiques et d’ordre gouvernemental ne sauraient suffire car toute action engage une doctrine et cele qui domine le processus actuel de mondialisation ne saurait être acceptée par les chrétiens. L’orientation de l’économie est fixée par l’accumulation des décisions ponctuelles des acteurs sociaux que sont les gouvernements, les dirigeants d’entreprises, les individus et les peuples. Leurs choix et le sens qu’ils lui donnent est fixé au cours d’un véritable jeu dont Paul VI a fait l’analyse devant la Conférence internationale du travail (1969) ; il concluait que la conscience de l’humanité devait être élevée afin que ses exigences soient transformées en règles de droit que tous accepteraient d’observer :

C’est une conception morale, humaine qui vous inspire : la justice sociale à instaurer, jour après jour, librement et d’un commu accord. Découvrant toujours mieux tout ce que requieret le bien des travailleurs, vous en faites prendre peu à peu conscience et vous le proposez comme idéal. Bien plus, vous le traduisez en de nouvelles règles de comportement social, qui s’imposent comme des normes de droit. Vous assurez ainsi le passage permanent de l’ordre permanent des principes à l’ordre juridique, c’est à dire au droit positif. En un mot, vous affinez, vous faites progresser la conscience de l’humanité.

La logique du système ne sera pas battue en brèche par une opposition frontale mais lorsque les individus épris du sens de l’homme établiront entre eux ce "pont soirituel" qu’évoquait Pie XII afin de "réinventer le ponde par leurs actions".

Les objectifs

La stratégie une fois fixée en vue de provoquer une réorientation des forces économiques et de les mettre au service de l’homme, plusieurs objectifs concrets peuvent être fixés :

* nécessité de constituer des réseaux entre ceux qui opèrent dans le système. Un homme seul ne peut en modifier la logique ; il serait broyé. Il faut que des groupes multiples se forment et se sentent liés entre eux pour freiner le mouvement. Jean-Paul II a traité ce point dans le discours qu’il prononça devant la cathédrale de Spire en 1985 :

Chers frères et cheres soeurs dans le christ. Vous serez peut-être à penser en cet instant : les racines chrétiennes de l’Europe, la paix mondiale, la liberté religieuse, la réunion des chrétiens, sont bien les défis cruciaux de notre temps, mais que puis-je faire, moi, tout seul ? Est-ce que je peux vraiment apporter ma contribution ? A cette question, je vous apporte une réponse : OUI, toi individuellement, tu peux amorcer le mouvement ; car toute bonne résolution, toute prise en charge volontaire d’une tâche ne se décident jamais que par un individu. Et même s’il est ensuite nécessaire que les efforts de chacun soient reliés ensuite à ceux d’autrui pour obtenir de grands effets, il n’en reste pas moins que le "oui" de chaque personne, formulé avec générosité et fidèlement maintenu, dans sa sphère d’activités, est indispensable pour amorcer et promouvoir efficacement ces améliorations profondes au niveau de l’Eglise comme de la société.

* Les ONG structurent les réseaux et sont les laboratoires où s’élaborent les nouvelles idées et programmes d’action en matière sociale en fonction des changements qui se produisent dans la société ; qu’il s’agisse d’une modification des rapports de force ou des exigences que les hommes lient à un moment donné à la reconnaissance de leur dignité. Les OIC prennent naturellement leur place dans ce système. Il leur revient de voir et de juger les évolutions afin d’exprimer par la doctrine et par l’action le sens de l’homme qu’elles tiennent de l’Evangile. Elles ont à définir à chaque époque comment se comporter avec le monde non-chrétien afin de prendre leur part dans le dialogue qui se déroule pour fixer les orientations du développement des sociétés et à préciser le genre de relations qu’elles entretiennent avec la hiérarchie.

* L’action des réseaux et des ONG doit aboutir à la diffusion d’une contre-culture dans la société. Celle-ci doit être non seulement nationale ou même régionale, mais internationale. L’expérience du passé, et même d’un passé récent, montre que cette stratégie n’est pas illusoire. De même que des réseaux, le plus souvent informels, ont grandement contrinué à la chute du communisme, et qu’ils ont pu se développer grâce au "pont spirituel" (Pie XII) qui s’était établi entre eux de chaque côté du rideau de fer, de même une délégitimation de la logique à laquelle obéit le système économique actuel résultera de la pression exercée par l’opinion ppublique sur les gouvernements et les responsables de l’économie.

* S’il est impératif de créer une contre-culture et de donner à celle-ci un poids qui entraîne les diverses structures de décision dans la société, le christianisme se trouve dans l’obligation de coopérer avec les autres forces sociales. Il y a là une des révolutions qui s’est opérée au cours de ce siècle. Quelques une de ses premières manifestations eurent lieu après la publication de Rerum Novarum comme lorsque Pie X autorisa les catholiques à adhérer à des syndicats non confessionnels ; ce fut dans l’entre-deux-guerres que cette tendance commença à s’affirmer. Comme le proclamait A. Thomas au congrès des syndicats chrétiens à Münich en 1928 :

Il pourrait subsister un doute quant à la personne du Directeur : .. Il y a en effet ce fait qu’à la tête du Bureau, comme Directeur, se trouve un homme qui a été dans le passé un militant politique, qui n’a pas cessé d’affirmer quelles étaient ses conceptions philosophiques et politiques... (La conception) qui me paraît la plus féconde, pour les organisations internationales en particulier, la conception de la rencontre en une même institution, de la collaboration de toutes sortes d’hommes animés chacun de leur foi particulière, mais aussi ardents, aussi sincères, aussi convaincus, mais qui estiment indispensable de se réunir sur des terrains déterminés et dans des domaines limités pour une oeuvre commune. Vous êtes des chrétiens. J’ai une autre formation. Mais j’ai le droit de dire que chaque fois que nous avons travaillé depuis huit ans, nous avons pu la faire... avec une foi aussi ardente, aussi passionnée, malgré la diversité de sa source, pour la réalisation de l’idéal commun.

La collaboration des catholiques et des non catholiques reçut une impulsion définitive lors du Concile Vatican II qui, au lieu de regarder l’erreur que constituaient les autres religions ou mouvements sociaux, retint le témoignage qu’ils donnaient de la communauté de destin qui existe entre leurs adhérents et les membres de l’Eglise en se reconnaissant mutuellement en quête de la vérité sur l’homme.

* L’axe de la contre-culture est le développement de l’unité de la famille humaine fondée sur une adhésion de tous au respect des droits de l’homme, spécialement de celui de rechercher la vérité et de la transcrire dans la réalité. Pour les chrétiens, le point le plus essentiel sera le respect de la liberté religieuse ; point qui, pour les non-croyants, deviendra respect des libertés individuelles et du sens qu’elles donnent à la vie. Les documents essentiels sont ici ceux du Concile, ceux relatifs aux juifs, aux musulmans et aux fidèles des religions non-chrétiennes dans la Déclaration Nostra Aetate et surtout de la Déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse. Si la direction prise ici par l’Eglise est claire, certains points restent à clarifier qui demandent d’entrer dans cette voie avec un esprit libre et critique.

= Dans les sociétés libérales, le droit à la liberté religieuse est pris comme un droit subjectif qui met sur le même pied toutes les options ; pour le chrétien, l’homme n’est pas libre de construire la cité des hommes comme il lui plaît ; il croit que celle-ci a ses exigences propres et que leur violation est à l’origine des désordres de la société (agressivité entre les individus et les groupes, guerres, domination et exploitation des plus faibles).

= Les sociétés occidentales ont tendance à faire du droit subjectif des individus et des sociétés un droit absolu ; il en résulte qu’une opinion diffuse dans l’opinion est favorable à mettre sur le même pied toutes les formes de vie et de civilisation. Les trois monothéismes n’acceptent cette interprétation de l’existence qui est contraire à leur vision historique du développement de l’humanité. Ils sont fondés sur une idée de progrès spirituel et de croissance humaine ; ils enseignent que l’homme est appelé à se transformer et à transformer son environnement selon la ligne de leur nature créée par Dieu, ils doivent s’efforcer de rendre cette image toujours plus ressemblante. au contraire le recours à l’idée de nature créée par Dieu et à son image introduit un critère objectif ; mais on ne peut pas l’imposer ; nécessité de recourir au dialogue d’en avoir une conception juste.

* Le rôle des ONG apparaît ici d’une grande importance.

= elles constituent des réseaux

= elles sont prises en considération au niveau des Natons Unies ; le statut d’observateur est complété maintenant par leurs manifestations lors des grandes conférences ; fonction de représentation

= elles ont un rôle éducatif vis à vis de leurs membres et de la population ; soit pour dénoncer ce qui est contraire à la dignité humaine, soit pour indiquer les objectifs qui devraient être atteints. La campagne contre les mines antipersonnelles est ici un exemple de la manière dont un campagne d’opinion peut mettre en échec le principe de la liberté de la production et du commerce. Tous les progrès en matière sociale ont d’ailleurs été obtenus selon cette technique qui mobilise l’opinion publique sur un objectif dont toute conscience droite saisit l’exigence morale au-delà des raisons économiques ou politiques qui peuvent être avancées.

Les grands principes sur lesquels mobiliser l’opinion publique

* la dignité de la personne humaine ; les systèmes politiques doivent être arrangés de manière d’être au service de tout homme. Ce principe a trouvé progressivement sa formulation contemporaine grâce aux protestations de Pie XI contre les totalitarismes et l’élaboration qui s’en est suivie jusqu’à Paul VI et Jean-Paul II. Les hommes deviennent conscients de leur dignité et demandent qu’elle soit respectée par les gouvernements et les systèmes économiques.

* la "participation organique" ; ce principe a été développé à propos des relations du travail à l’issue de la guerre de 1939. On le trouve chez Pie XII et chez Paul VI

* la solidarité. Ce principe est à double détente : d’une part, il indique quel doit être l’objectif de la participation organique ; elle n’est pas destinée à garantir les privilèges d’un groupe social ; elle doit tendre à l’égalité et au bien de tous. De là, ce principe a fourni un nouveau champ de réflexion à l’égard des exclus de la vie (populations déplacées ; victimes de régimes communistes, populations des pays en voie de développement...) ; cette concrétisation de la solidarité se trouve résumée dans l’expression d’l’option préférentielle pour les pauvres

En conclusion, la doctrine sociale de l’Eglise fait peser sur chacun une double responsabilité : d’une part la nécessité d’une conversion personnelle (Octogesima Adveniens), d’autre part l’obligation de l’engagement personnel vis à vis de ce que Jean-Paul II a appelé les sructures de péché.

par Joseph Joblin, SJ